mercredi 1 juillet 2015

Viagra pour toutes

La lutte contre les discriminations entre hommes et femmes prend parfois des formes déconcertantes. Lassée peut-être de dénoncer l’hétéro-patriarcat agressif des hommes qui urinent debout ou de lutter contre l’inégalité syntaxique et l’orthographe oppressive, voilà que des associations féministes portent désormais le fer contre l’industrie pharmaceutique au nom du désir pour tous afin d’obtenir la commercialisation rapide du Viagra féminin.
Le Viagra a été sans conteste le grand succès pharmaceutique de ces vingt dernières années. Découvert par les chercheurs des laboratoires Pfizer en 1996, le citrate de sildénafil était supposé au départ être utilisé dans le traitement des maladies cardio-vasculaires. Le médicament n’eût pas l’effet escompté et se révéla plus propice à susciter les érections qu’à soigner les cœurs malades, un redressement très productif pour Pfilzer. De même que Colomb découvrit l’Amérique en pensant arriver en Inde, cette séréndipité ouvrit à l’industrie pharmaceutique un riche et nouveau continent.


Moins sereines et plus dépitées, les associations féministes américaines trouvent cependant aujourd’hui anormal que les miracles de la science ne leur aient pas encore offert les mêmes commodités qu’aux hommes, sous la forme du Viagra Féminin. En pointe de ce combat pour l’égalité des sexes épanouis, la plate-forme Even the score – on traduira plus ou moins bien cela par « revenir aux points » - regroupe 24 associations qui pensent que le temps est venu « d’égaliser le terrain » (il doit y avoir des amatrices de foot à la tête de ce collectif) en matière de traitement des dysfonctionnements sexuels féminin. Even the score mène donc un lobbying intensif auprès des membres du Congrès américain pour que la rétive Federal Drug Agency (FDA) accepte enfin d’autoriser la commercialisation du Viagra féminin. En témoigne la lettre au « commissioner Woodcock » (ça ne s’invente pas), mise en ligne sur le site du collectif, qui dénonce le fait qu’il existe « 26 traitements commerciaux autorisés par la FDA pour traiter les troubles sexuels masculins et à ce jour pas un seul qui soit approuvé en ce qui concerne les troubles sexuels féminins. » Les signataires de la missive insistent sur le fait que « l’égalité de genre devrait être la norme suivie dans la définition de l’accessibilité aux traitements sexuels. »
Le petit problème est que si le Viagra a réussi à détromper Georges Brassens et à démontrer que la bandaison ça se commande un petit peu, ce fut au prix de quelques effets secondaires plus ou moins préoccupants allant de l’éruption cutanée à l’arrêt cardiaque, ce qui peut représenter un gros handicap pour conter fleurette à Fernande. Les laboratoires ont dû progressivement réajuster leur cuisine moléculaire, en omettant d’informer quelquefois les candidats au priapisme à la demande de tous les risques induits par l’absorption du remède miracle. Mais que ne ferait-on pas pour plaire, même à Lulu.


Avec le Viagra féminin, c’est encore plus compliqué. Si le mécanisme du plaisir masculin n’est lui-même pas aussi sommaire que l’on veut bien le présenter, celui du désir féminin reste un mystère plus difficile à percer, même pour une armée de laborantins généreusement financée. Le miracle est pourtant en passe de se produire : il porte le doux nom de Flibaserine, un médicament censé remédier aux pannes du désir chez les femmes et traiter le syndrome, plutôt controversé dans le monde médical, des « dysfonctionnements sexuels de la pré-ménopause ». Tandis que le Viagra rend vigueur et enthousiasme à Monsieur, le Viagra féminin doit redonner à Madame un peu plus d’intérêt pour la vigueur de Monsieur. Une armée de chercheurs s’activent donc autour des chambres à coucher et banquettes arrière pour permettre à la concupiscence et à la bagatelle de nous occuper jusqu’à un âge avancé, ce qui tombe plutôt bien, Derrick ayant été récemment déprogrammé par France Télévision pour cause de passé nazi, il n’y a plus rien à la télé l’après-midi à part des redifs de Santa Barbara et Des chiffres et des Lettres…
Malheureusement, la Flibasérine s’avère ne pas tout à fait être le Viagra miracle que les femmes attendaient. D’abord testée comme antidépresseur par le laboratoire allemand Boehringer Ingelheim, avec des résultats assez mitigés, la drogue a fait l’objet de nouvelles recherches afin de devenir le nouveau blockbuster de la libido féminine et de la médecine du XXIe siècle. Mais les essais cliniques furent si peu concluants que Boehringer n’est jamais parvenu à convaincre la FDA de lui accorder le sésame obligatoire pour investir le marché américain. La FDA avait en effet souligné que les possibles effets secondaires de la Flibasérine - fatigue, évanouissements, risque accru de dépression – n’étaient pas compensés par ses très hypothétiques vertus aphrodisiaques. Marie-Claire eût beau se réjouir que « la petite pilule rose arrive sur le marché en 2011 », le médicament ne passa en 2010 la barrière d’aucun comité médical, pas plus en France qu’aux Etats-Unis.
Mais quand il s’agit de mettre la main sur un marché aussi prometteur, les laboratoires pharmaceutiques ne manquent pas de ressources et d’entêtement. En 2013, Sprout Pharmaceuticals[1] racheta le brevet de Boerhinger et reprit les études sur la Flibasérine, sans réussir toutefois à obtenir des résultats beaucoup plus convaincants. La FDA estima à nouveau en 2013 que le produit n’était pas commercialisable, d’autant que les effets indésirables déjà constatés perduraient “à une fréquence accrue”, selon les conclusions des études menées, et que quelques “incidents plus significatifs” pouvaient être encore susceptibles : à nouveau dépression, syncope et évanouissements.[2]
Les laboratoires Sprout ont donc décidé de recourir à une nouvelle stratégie, peut-être plus payante, mettant en avant la discrimination dont les femmes seraient victimes aux Etats-Unis en raison de la décision répétée de la FDA de ne pas laisser commercialiser un Viagra féminin, qui semble, à lire les conclusions réitérées des experts, être pour le moment une arnaque potentiellement dangereuse.
Voilà comment est né le collectif Even The Score, rassemblant 24 associations soi-disant féministes, réunies afin de mener une efficace campagne de lobbying pour promouvoir une « équité sanitaire » et « dire à la FDA qu’il est temps d’offrir aux femmes le choix qui leur revient de droit de traiter les dysfonctionnement de la sexualité ». En consultant la liste des 24 sponsors affichés sur le site (et décrit comme des « associations féministes »), on trouve l’ASHA (American Sexual Health Association), la « Black Women Health Imperative », ou encore la « Jewish Women International » mais aussi – ô surprise ! – Sprout Pharmaceuticals qui a déjà investi plus de 50 millions de dollars dans la nouvelle mouture de Viagra féminin à base de Flibasérine et compte bien que s’ouvre enfin un très lucratif marché en invoquant le droit des femmes au plaisir à tout âge. Même chose sans doute pour la firme canadienne Trimel Pharmaceuticals qui travaille, elle, depuis 2012 sur le Tefina, un gel à base de testostérone à inhaler par le nez deux heures avant les rapports sexuels.


La méthode semble être payante, Even the score a mené une campagne de lobbying intensive auprès des institutions américains, au nom de la lutte contre les discriminations de genre, et le 5 juin 2015, un premier comité d’experts de la FDA a rendu un avis positif. Reste à savoir quelle sera la conclusion finale de l’agence américaine mais en attendant, il semble bien que le fait de se prévaloir de la lutte pour la reconnaissance des droits d’une catégorie de la population soit aussi devenue une excellente manière de faire triompher le droit de l’industrie pharmaceutique à gagner plus de sous.

Pour aller plus loin sur le sujet :






[1] Qui se réjouissent déjà d’avoir presque passé la barrière de la FDA : http://www.sproutpharma.com/
[2] Pour une étude plus détaillé, voir le rapport complet de la FDA de 2010 : http://www.fda.gov/downloads/AdvisoryCommittees/CommitteesMeetingMaterials/Drugs/ReproductiveHealthDrugsAdvisoryCommittee/UCM215437.pdf

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